Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/703

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terrain; les pentes de gazon, au haut desquelles apparaissent subitement et disparaissent, selon la magie de notre marche ascendante ou descendante, des massifs de fleurs naturelles, placés aux intersections d’allées sinueuses et à celles de cours d’eau perdus ! Il n’y a plus rien de tel. Les pelouses affectent des formes linéaires, les allées un parcours symétrique. Quant aux fleurs, courtes et de couleurs tranchées, ce sont, n’est-ce pas ? des imitations, artificielles, et faites pour jouer la mosaïque. Avons-nous acclimate en France, pendant la première moitié de ce siècle, le jardin pittoresque que l’Angleterre nous céda en échange de la solennité régulière de nos parcs ? Cependant, il y a, dans l’étonnement causé par ce site, une impression toute nouvelle : celle d’un tapis turc ou persan, au dessin et au coloriage fragmenté et intense. Levez les yeux maintenant, s’il vous plaît. Ne trouvez-vous pas une analogie certaine entre l’architecture de féerie qui retient votre regard, dans ce moment, et ce parterre oriental et multicolore ? A travers l’humidité lumineuse, inséparable même d’une matinée d’été, à Londres, voyez se détacher, à droite, à gauche, au fond surtout, de vastes panneaux d’une brique sanguine et vivante et des arêtes d’édifice, à la fois imprégnées de vapeur et resplendissantes, ces dernières présentant ce charme de la pierre africaine ou provençale pâlie et comme refroidie par le climat du Nord. Il faut remonter à vos plus anciennes notions historiques (car la Renaissance italienne n’employa la singulière matière en question que dans des constructions restreintes) pour trouver un exemple de la terre-cuite, prodiguée dans d’aussi vastes proportions, celles d’un monument entier. Nous nous croirions aux temps où le potier ninivite ou babylonien construisait, seul, les palais, si la brume transparente, maintenant distribuée dans l’atmosphère avec égalité et installée pour la journée, ne laissait étinceler une toiture toute moderne et industrielle, réminiscence des palais de cristal et de fer inaugurés presque à cette même place, en 1851, à l’occasion de la première Exposition. La tentative la plus glorieuse faite par l’Angleterre, en quête d’une architecture appropriée à son ciel, nous