Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/720

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contemporain rendaient si parfaitement difficile, je ne crois pas qu’il y ait lieu de faire autre chose que de s’étonner de la gamme délicieuse trouvée dans les noirs : fracs et dominos, chapeaux et loups, velours, drap, satin et soie. A peine l’œil se figure-t-il la nécessité des notes vives ajoutées par les travestissements : il ne les distingue qu’attiré et retenu d’abord par le seul charme de la couleur grave et harmonieuse que fait un groupe formé presque exclusivement cT hommes. Rien donc de désordonné et de scandaleux quant à la peinture, et qui veuille comme sortir de la toile : mais, au contraire, la noble tentative d’y faire tenir, par de purs moyens demandés à cet art, toute vision du monde contemporain. Quant aux Hirondelles, j’accorde à la plus superficielle des critiques une seule objection, afin de la réduire tout à l’heure. Deux dames assises sur l’herbe d’une de ces dunes du Nord de la France, s’étendant à l’horizon fermé derrière lequel on sent la mer, tant est vaste l’atmosphère qui entoure les deux personnages. Viennent de ce lointain des hirondelles donner son titre au tableau. L’impression de plein air se fait jour d’abord; et ces dames, tout à elles-mêmes dans leur songerie ou leur contemplation, ne sont d’ailleurs que des accessoires en la composition, comme il sied que les perçoive dans un si grand espace l’œil du peintre, arrêté à la seule harmonie de leurs étoffes grises et d’une après-midi de septembre. Je signalais une réserve, faite à un point de vue d’école par qui ne tiendrait aucun compte de quelques remarques précédentes : elle consiste, si l’on veut, en ceci que, pour parler argot « le tableau n’est pas assez poussé » ou fini. Il y a longtemps que l’existence de cette plaisanterie me semble révoquée en doute par ceux qui la proférèrent d’abord. Qu’est-ce qu’une œuvre « pas assez poussée » alors qu’il y a entre tous ses éléments un accord par quoi elle se tient et possède un charme facile à rompre par une touche ajoutée ? Je pourrais, désireux de me montrer explicite, faire observer que, du reste, cette mesure, appliquée à la valeur d’un tableau, sans étude préalable de la dose d’impressions qu’il comporte, devrait, logiquement, atteindre l’excès dans le fini comme dans le lâché : tandis que, par une inconséquence singulière, on ne voit jamais l’humeur des juges sévir contre une toile, insignifiante et à la fois minutieuse jusqu’à l’effroi.