Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/882

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AVANT-DIRE

(Lu par Mlle MORENO avant un concert des œuvres de Reynaldo Hahn, donné en 1889 à la Bodinière.) J’annonce que vous n’allez pas, Mesdames et Messieurs, ouïr de la musique exclusivement; pourtant, une très sûre musique. Le jeune compositeur l’estime sa façon de ressentir : à savoir que vibre, sur l’instrument d’accord au dedans, quelque émotion pareille aux objets, laquelle prélevée à part et essentiellement, dans leurs traits lumineux, en passion, en grâce, s’exhale par bouffée pure — comme si ces objets brûlaient, d’eux-mêmes, sur un trépied, vers la beauté. Reynaldo Hahn met en musique, d’après un don, intuitivement, ce qu’il regarde : vous l’imagineriez observant en connaisseur, des tableaux, tout à l’heure, ceux du Louvre suspendus avec autorité tacitement dans les mémoires; or la peinture restitue à ce voyant l’intuition de lignes, d’éclairage et de coloration ou le morceau d’orchestre que, d’abord, elle est. Un goût, flagrant chez lui, de s’en prendre, mieux qu’à l’immédiate nature, aux œuvres attestant une préparation d’art, toiles, pourquoi pas statues, étonne : mais, outre qu’il tire le poëme inclus en tout, le voici affronter, quelle audace, les poèmes existant dans le sens strict ou littéraire, et, précisément, y triompher; rien de plus, il perçoit le chant, sacré, inscrit aux strophes, il l’espace et le désigne, répandu par l’éternelle blessure glorieuse qu’a la poésie, ou mystère, de se trouver exprimée déjà, même si près du silence — oui, il en presse les authentiques lèvres pour un jaillissement nouveau. Ces cris discrètement, ces pâmoisons, ou l’âme tout haut, divulguent votre extase de lire, attendu que le vers résume toute émanation flottant alentour. Apportez, je prie, la candeur même, la même ferveur qui inspirent à l’auteur un genre de rêverie où il se plaît, différent des concerts — ce n’est pas que, derrière les rideaux sise entre les confidences, j’en abuse ou, explicative, tente de frapper les trois coups avec le bâton, sur les têtes de l’assemblée : la compréhension se fera seule, clairvoyante, au cours de l’auditoire : plutôt, un poète, M. Stéphane Mallarmé, me souffla, gratuitement,