Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/893

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de police, que la femme se parait indûment de ce dont elle ne savait pas le sens caché, et qui ne lui appartient par conséquent pas... Pour en revenir au naturalisme, il me paraît qu’il faut entendre par là la littérature d’Émile Zola, et que le mot mourra en effet, quand Zola aura achevé son œuvre. J’ai une grande admiration pour Zola. Il a fait moins, à vrai dire, de véritable littérature que de l’art évocatoire, en se servant, le moins qu’il est possible, des éléments littéraires; il a pris les mots, c’est vrai, mais c’est tout; le reste provient de sa merveilleuse organisation et se répercute tout de suite dans l’esprit de la foule. Il a vraiment des qualités puissantes; son sens inouï de la vie, ses mouvements de foule, la peau de Nana, dont nous avons tous caressé le grain, tout cela peint en de prodigieux lavis, c’est l’œuvre d’une organisation vraiment admirable ! Mais la littérature a quelque chose de plus intellectuel que cela : les choses existent, nous n’avons pas à les créer; nous n’avons qu’à en saisir les rapports; et ce sont les fils de ces rapports qui forment les vers et les orchestres. — Connaissez-vous les psychologues ? — Un peu. Il me semble qu’après les grandes œuvres de Flaubert, des Goncourt, et de Zola, qui sont des sortes de poèmes, on en est revenu aujourd’hui au vieux goût français du siècle dernier, beaucoup plus humble et modeste, qui consiste non à prendre à la peinture ses moyens pour montrer la forme extérieure des choses, mais à disséquer les motifs de l’âme humaine. Mais il y a, entre cela et la poésie, la même différence qu’il y a entre un corset et une belle gorge... Je demandai, avant de partir, à M. Mallarmé, les noms de ceux qui représentent, selon lui, révolution poétique actuelle. — Les jeunes gens, me répondit-il, qui me semblent avoir fait œuvre de maîtrise, c’est-à-dire œuvre originale, ne se rattachant à rien d’antérieur, c’est Morice, Moréas, un délicieux chanteur, et, surtout, celui qui a donné jusqu’ici le plus fort coup d’épaule, Henri de Régnier, qui, comme de Vigny, vit là-bas, un peu loin, dans la retraite et le silence, et devant qui je m’incline avec admiration. Son dernier livre : Poèmes anciens et romanesques est un pur chef-d’œuvre.