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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/933

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fusion était possible entre eux : l’Anglais toujours perfectionné depuis son implantation, le Français montrant une récente et vigoureuse poussée, relativement complète. Suivre toutes les phases de cette accointance, voilà où pourrait commencer la portion historique de l’introduction, à quoi ce qui précède sert comme de double Préface. Tout le laps qui s’ouvre avec la Conquête pour finir avec la première œuvre de génie où les deux langues n’en feront véritablement plus qu’une, harmonieuse et point disparate, les poèmes de C.haucer, a pour dates extrêmes les millésimes 1042, Bataille de Ilastings et les dernières années du xive siècle, apparition des Contes de Cantorbéry. Séparez ces chiffres, en y intercalant celui de 1250 dont se révélera bientôt l’importance; et vous avez les deux moments divers de la formation de l’Anglais proprement dit. Le choc de la conquête porta immédiatement un coup mortel à l’Anglo-Saxon : rudement secoué, celui-ci perdit son luxe de désinences casuelles qu’il gardait de concert avec les particules analytiques; mais là, également, il sied d’oublier la Grammaire pour ne penser qu’au Lexique, si l’on se rappelle le titre adopté par le tome présent de cette Philologie. Tous les termes ayant trait aux dignités, à la politique, à la chasse, bref à la vie seigneuriale : normands, comme palace et castle, palais, château; à l’Anglo-Saxon. le reste, humble et intime, c’est-à-dire, home et hearth, dans ses deux sens le foyer. Très marquée ici, cette distinction s’accentue encore dans des vocables restés parallèles de nos jours; c’est beef, le bœuf servi sur la table châtelaine, et ox, le bœuf tel que l’amenait au marché un paysan : calf et veal, SHEEP et MUTTON, SWINE et PORK, DEER et VENISON, FOWL et PULLET, toujours le dernier qui est français ou normand, traduisant le premier qui est anglais ou saxon. Le rustre qui vendait la bête ou le morceau et le valet qui l’achetait, l’un et l’autre la désignèrent, veau, mouton ou porc, chacun d’un nom demandé à son idiome : et, comme ils se comprenaient, le mot double persista. Ce fait ne se montre-t-il pas à toutes les frontières et particulièrement dans nos ports de mer situés sur la Manche : seulement, rentré dans le chez soi, le marchand de Boulogne ou de Calais oublie ham et claret, ne se souvenant que de jambon et bordeaux. Un si curieux phénomène, où s’entrevoit l’avenir entier de l’Anglais, n’existait toutefois, que dans le langage quotidien, ce qui est beaucoup : et dépossédée de tous les honneurs anciens, la littérature, c’est-à-dire toujours la poésie, jette intacte presque et originelle, un dernier et superbe éclat rétrospectif. Le Brut de Lavamon et V Ormulum d’Orm, écrits, celui-ci dans le dialecte jadis triomphant de l’Est