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LA BOURDONNAIS ET DUPLEIX

propositions pour la rançon de Madras car : « Ce serait tromper le nabab et le faire se joindre à nos ennemis[1]. »

Cette lettre arriva à Madras dans la nuit du 23. Avant sa réception, La Bourdonnais avait, comme nous l’avons vu, envoyé à Dupleix une copie de la capitulation avec une longue lettre dans laquelle il s’étendait sur les motifs qui avaient dirigé sa conduite. Il voyait devant lui trois partis à choisir : prendre Madras pour en faire une colonie française, ou la raser de fond en comble, ou traiter de sa rançon[2]. Le premier ne pouvait être conseillé parce que, selon lui, il ne serait pas favorable aux intérêts de la Compagnie qu’elle eût sur la même côte deux établissements aussi rapprochés. Il ajoutait : « Par les premiers ordres que j’ai reçus du ministre, il m’est défendu de garder aucune place conquise[3] ; » il

  1. La lecture de cette lettre ne laissera aucun doute sur la sincérité de Dupleix dans ses négociations avec le nabab : « J’ai informé le nabab par l’intermédiaire de mon agent à Arcate que, lorsque nous serons les maîtres de la ville de Madras, on la lui remettra ; bien entendu, dans l’état que nous jugerons convenable ; » voulant dire qu’il raserait d’abord les fortifications. Il ajoute : « Cet éveil doit vous engager à presser vivement cette place, et à ne point écouter les propositions que l’on pourrait vous fair pour la rançonner après sa prise, car ce serait tromper le nabab et le faire se joindre à nos ennemis. Au reste, lorsque vous serez le maître de cette place, je ne vois pas où les Anglais pourront trouver de quoi payer cette rançon ; et cette place, subsistant dans son entier, sera toujours un empêchement certain à l’augmentation de celle-ci. Je vous prie de faire à ce sujet les réflexions convenables »

    (Dupleix à La Bourdonnais, datée de Pondichéry, 21 septembre 1746, huit heures après-midi.)

  2. Le fait que, dans cette lettre, qui accompagnait la capitulation. La Bourdonnais se considère comme libre de choisir un des trois partis dont deux auraient rendu la rançon de la place impossible, ce fait, disons-nous, prouve d’une manière concluante que jusqu’au 23 il n’était lié par aucun engagement de rendre Madras contre une rançon et que l’histoire racontée dans ses Mémoires a été fabriquée après coup.
  3. Comme c’est ici la seule fois que dans toute sa correspondance La Bourdonnais fait allusion à la défense du ministre de garder un établissement conquis sur l’ennemi, et comme néanmoins il s’en sert dans ses Mémoires pour la principale justification de sa conduite ; comme de plus M. Mill, M. Orme et d’autres auteurs d’Histoires de l’Inde, jusqu’au plus récent, M. Marshman, ont admis sans examen les assertions de La Bourdonnais sur ce point, il devient nécessaire de les soumettre à une enquête.

    Il est parfaitement vrai que le ministre avait envoyé à La Bourdonnais un ordre lui défendant de prendre possession d’aucun établissement ou comptoir appartenant à l’ennemi, dans le but de le garder. Mais, même indépendamment de la circonstance qu’un tel ordre n’emportait pas la nécessité de rendre à l’ennemi la place prise, il est de fait qu’il n’ivait aucun rapport avec la campagne que faisait La Bourdonnais en 1746 ; il est vrai que dans ses Mémoires, il le place parmi d’autres donnés en 1745 et 1746 et ayant chacun une date précise, mais il est curieux qu’il ait omis d’en assigner une à celui-ci. Le fait est que cet ordre lui avait été donné en 1741 à un moment où La Bourdonnais venait d’être placé à la tête d’une flotte combinée des vaisseaux du Roi et de ceux de la Compagnie, pour croiser dans les mers d’Orient aussitôt que les hostilités éclateraient. Même dans ces circonstances, cet ordre n’avait pas la portée qu’il lui attribuait. Ainsi que le professeur Wilson le remarque avec justesse (Wilson’s