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DE BUSSY JUSQU’EN 1754

blâme à la politique qui, au moment où la France n’avait plus à vaincre ses rivaux détestés, résolut de rendre sans coup férir cette puissance et cette influence complètement françaises ? Quel attrait n’était-ce pas pour une ambition patriotique ! Quels rêves d’empire, quelles visions de domination impériale lui étaient permis ! En possession du Carnate, gagnant par cette politique le Décan, les minarets de Jumma-Mussid et les pierreries qui ornaient le trône du Paon semblaient assez rapprochés pour exciter l’imagination et pousser irrésistiblement à l’action !

Cette vision tentatrice avait encore un autre attrait : la réalisation en paraissait si facile ! Connaissant à fond le caractère indigène, Dupleix savait parfaitement que, quelles que fussent les obligations que le vice-roi régnant avait à l’égard des Français, elles seraient toutes oubliées s’il n’avait soin de lui rappeler sans cesse leur pouvoir comme nation, et d’entretenir sous ses yeux la preuve de leur supériorité. C’était donc tout autant pour conserver l’influence française à la cour du soubab, que pour appuyer les prétentions de Mozuffer-Jung, que de Bussy avait été chargé d’accompagner ce prince à Aurungabad. Dupleix ne pouvait douter que, ses troupes occupant la capitale sous les ordres d’un militaire diplomate engagé à soutenir le soubab, et, ce qui était plus important, le soubab lui-même sentant bien qu’il ne pouvait compter sur d’autre appui que le leur, Dupleix, disons-nous, ne pouvait mettre en doute que de Bussy, s’il était habile, ne sût inévitablement attirer à lui toute l’influence, n’inspirât la politique étrangère et ne fût l’âme de son action ; en un mot, il deviendrait le tout-puissant maire du palais et le soubab ne serait qu’un automate sans valeur.

Diviser ainsi ses forces et se priver des services du meilleur de ses généraux, en présence d’ennemis tels que les Anglais, qui avaient la mer pour base de leurs opérations, c’était à vrai dire courir un grand risque. Cependant, avant de condamner trop sévèrement Dupleix pour s’être exposé à un danger semblable, il faut voir quel était à ce moment l’état des affaires sur la côte. La paix régnait officiellement entre les deux nations ; les provinces du Carnate et de Trichinopoly avaient, à l’exception de la ville de