envahis par un corps aussi fort, numériquement parlant ; mais il lui manquait tout ce qui rend une armée utile et efficace.
Celle-ci s’avançait sans transports organisés, sans provisions, sans argent, avec des munitions insuffisantes. Il fallait se créer toutes ces ressources en route, plan qui ne pouvait s’exécuter sans amener dans la discipline un relâchement dangereux, et, ce qui était encore plus important, sans aliéner les populations. Il serait difficile d’exagérer les souffrances que durent supporter ces malheureux soldats[1]. À Devicotta, ils ne trouvèrent à manger que du riz dans la coque, et ce ne fut qu’en arrivant à cent milles de Pondichéry qu’ils firent un véritable repas. Encore Lally n’y trouva-t-il que vingt-huit bœufs et peu de farine, la majeure partie de ces approvisionnements ayant été consommée par l’escadre. Enfin, le lendemain, il reçut des Hollandais de Tranquebar et de Négapatam des munitions et des vivres.
Les difficultés de la marche, les souffrances de ses troupes et les entraves qu’il rencontrait en toute occasion, avaient irrité son caractère à un point tel que, dès son entrée dans le royaume de Tanjore, il se livra à des actes d’une sévérité aussi irréfléchie que déraisonnable, et qui devaient être fort nuisibles à sa cause. Il pilla la ville de Nagore, rançonna tous les temples de Brahma qu’il rencontra, et ayant trouvé six brahmines rôdant autour de son camp, il les chassa à coups de canon. La licence qu’il permettait à son armée et la terreur qui se répandait à son approche étaient si grandes, qu’on ne doit pas s’étonner de lui voir écrire, « qu’il rencontrait à peine un habitant sur la route, et que le pays qu’il traversait ressemblait à un stérile désert[2]. »
Enfin, le 18 juillet, l’armée française se trouva sous Tanjore. Lally avait d’avance envoyé au roi une réquisition de payer cinquante-cinq lakhs de roupies, mais il n’en avait reçu qu’une
- ↑ De Devicotta, où ils arrivèrent le lendemain, et où ils ne trouvèrent pas de quoi
apaiser leur faim, Lally écrivit à Leyrit ; « J’attends dans la nuit les bœufs qui traînent
l’artillerie afin de les faire tuer… J’ai envoyé à Trinquebar, pour y acheter tous
les chiens marrons et bœufs que l’on pourra rencontrer, ainsi que la raque, à quelque
prix que ce soit ; voilà, à la lettre, l’horreur de la situation dans laquelle vous nous
avez mis et le danger auquel vous exposez une armée, que je ne serais point surpris de
voir passer à l’ennemi pour chercher à manger. »
(Correspondance de Lally avec Pondichéry.)
- ↑ Mémoire pour Lally, page 67.