Page:Malo - Une muse et sa mere.pdf/40

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un besoin de mettre à l’abri chacun de ses jours, comme autant de vols faits à la Parque révolutionnaire, et qu’elle pourrait bien réclamer au premier signal »[1]. Cinquante-six ans plus tard, elle se rappelle ce temps de folies[2]. « On ne saurait donner une idée de ce délire joyeux succédant à toutes les angoisses de la peur et aux cris du désespoir. Chacun semblait avoir obtenu un congé de la mort qu’il fallait employer le plus gaiement possible ; l’absence de toute vanité servait merveilleusement ce projet. Les tortures dont on sortait ne rendaient pas difficiles en plaisirs, et l’on s’amusait tout bonnement pour s’amuser, se cotisant pour subvenir aux frais d’un bal que nul n’était assez riche pour donner, où les femmes dansaient en robe de mousseline unie, n’ayant pour ceinture qu’une corde de laine, et les hommes en pantalon de nankin, sorte d’innovation alors très hardie, qui donnait à ces réunions un air de bal champêtre et en excluait tout cérémonial. En ce temps-là, la danse comptait encore parmi les arts ; ce n’était pas comme aujourd’hui le triste talent de frotter un salon en mesure. Il fallait avoir travaillé en conscience la manière de mettre les pieds en dehors, d’imiter les pas les plus gracieux sans tomber dans le ridicule d’une danse théâtrale. Et ce talent, fruit d’un bon goût et d’une exquise délicatesse, jamais femme du monde ne l’a poussé aussi loin que Mme  Hamelin. »

Mme  Hamelin ! on la dit créole en dépit d’une

  1. Sophie Gay : les Malheurs d’un amant heureux, Paris, 1823, trois volumes, I. p. 159.
  2. Sophie Gay : Madame Hamelin, dans le Constitutionnel, 8 mai 1851.