Page:Malot - Cara, 1878.djvu/107

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comment elle vivrait pendant le temps de ces leçons et jusqu’au moment où elle serait en état de paraître sur un théâtre ; elle fit le compte de son argent, il lui restait quatre cent vingt-cinq francs sur un billet de cinq cents francs que son oncle lui avait donné récemment pour ses menues dépenses ; de plus elle possédait quelques bijoux et enfin des vêtements et du linge qu’elle ne pouvait guère estimer à leur prix de vente. En tous cas cela réuni formait un total qui semblait-il devrait lui permettre de vivre, avec une rigoureuse économie, pendant près de deux ans ; et c’était assez sans doute en travaillant énergiquement, pour gagner le moment où elle pourrait débuter.

Si elle avait eu l’habitude de sortir seule, elle aurait pu aller chez les professeurs de chant dont elle connaissait le nom pour leur demander s’ils consentaient à l’accepter comme élève, mais ayant toujours été accompagnée, par son oncle, par sa tante ou par une femme de chambre, il lui était impossible de faire ces visités.

Pour cela il fallait qu’elle fût libre, et pour être libre il fallait qu’elle quittât cette maison dans laquelle elle ne rentrerait jamais.

À cette pensée son cœur se serra et une défaillance morale l’envahit tout entière. C’étaient les liens de la famille qu’elle allait briser de ses propres mains. Que serait-elle pour son oncle et pour sa tante lorsqu’elle serait sortie de cette maison qui lui avait été si hospitalière ? Que serait-elle pour Léon, à qui elle ne pourrait pas dire la vérité, et de qui elle devrait se cacher comme de tous autres ? Que penserait-il d’elle ? Comment la jugerait-il ? S’il allait la condamner ? Lui !