Page:Malot - Cara, 1878.djvu/153

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Français, à l’Opéra, aux Folies ou au Cirque, il y a une partie du public, toujours la même, qui du 1er janvier au 31 décembre se rencontre inévitablement dans ces soirées et qui, bien entendu, se connaît sans avoir eu souvent les plus petites relations personnelles : on est habitué à se voir et l’on se cherche des yeux.

Au milieu de la scène de Jeanne d’Arc, deux jeunes gens firent leur entrée au moment où Jeanne, à genoux sur sa selle, les yeux en extase, entendait ses voix, et leurs noms coururent aussitôt de bouche en bouche :

— Léon Haupois-Daguillon.

— Henri Clorgeau.

C’était en effet Léon qui, accompagné de son ami intime Henri Clorgeau, le fils de la très-riche maison de Commerce Clorgeau, Siccard et Dammartin, venait assister aux débuts de Zabette. Ils gagnèrent leurs places au quatrième rang, et, au lieu de donner leurs pardessus à l’ouvreuse qui les leur demandait, ils les déposèrent sur les deux places qui étaient devant eux et qu’ils avaient louées pour être à leur aise.

Puis, ayant tiré leurs lorgnettes, ils se mirent à passer l’inspection de la salle, sans s’inquiéter de Jeanne d’Arc qui, debout, dans une attitude inspirée, pressait religieusement son épée sur son cœur en criant : « Hop ! hop ! » Le cheval allongeait son galop, et, prenant son épée à deux mains, Jeanne faisait le moulinet contre une troupe d’Anglais invisibles : la musique jouait un air guerrier.

Léon posa sa lorgnette devant lui, et se penchant à l’oreille de son ami :

— Croirais-tu, lui dit-il, que je ne puis examiner ainsi une salle pleine sans m’imaginer que je vais peut-