Page:Malot - Cara, 1878.djvu/191

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longues, si pénibles, qu’il avait vraiment peur d’en reprendre le cours, ce qui arriverait infailliblement s’il se refusait à ce que Cara les remplît, comme depuis quelques jours elle les remplissait.

En réalité, le sentiment qu’il avait éprouvé et qu’il éprouvait toujours pour Madeleine, aussi vif, aussi tendre, n’était point de ceux qui commandent la fidélité. Cara ferait-elle qu’il gardât ce souvenir moins vivace ou moins charmant ? Il ne le croyait point. Ah ! s’il avait dû revoir Madeleine dans un temps déterminé, la situation serait bien différente ; mais la reverrait-il, jamais ? De même, cette situation serait toute différente, si elle l’avait aimé, comme elle le serait aussi s’il lui avait avoué son amour et si tous deux avaient échangé un engagement, une promesse, ou tout simplement une espérance. Mais non, les choses entre eux ne s’étaient point passées de cette manière ; il n’y avait eu rien de précis ; et il était très-possible que Madeleine ne se doutât même pas de l’amour qu’elle avait inspiré. Alors, s’ils se revoyaient jamais, ce qui était au moins problématique, dans quelles dispositions Madeleine serait-elle à son égard ? N’aimerait-elle pas ? Ne serait-elle pas mariée ? Qui pourrait lui en faire un reproche ? Pas lui assurément, puisqu’il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait et qu’il voulait la prendre pour femme.

Raisonnant ainsi, il était arrivé devant sa porte ; mais, au lieu d’entrer, il continua son chemin sous les arcades sonores de la rue de Rivoli. Paris endormi était désert, et de loin en loin seulement on rencontrait deux sergents de ville qui faisaient leur ronde, silencieux comme des ombres et rasant les murs sur lesquels leurs silhouettes se détachaient en noir.