Page:Malot - Cara, 1878.djvu/272

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— Elle en aura soixante le jour où tombera le bandeau qu’elle t’a mis sur les yeux. Et que faut-il pour que cela arrive ? un mot que tu entendras, la satiété peut-être, mieux que cela, la voix de ta dignité et de ta conscience qui te fera comprendre que cette femme ne te tient que par ce qu’il y a de mauvais en toi, et qui te fera sentir qu’elle n’a jamais éveillé en ton cœur rien de bon, rien de noble, rien de grand, rien de ce qui est la conséquence ordinaire de l’amour lorsqu’il existe entre deux êtres dignes l’un de l’autre. Me diras-tu qu’elle est digne de toi, toi que j’ai connu honnête, tendre, bon, généreux, toi qui portes écrites sur ton visage toutes les qualités qui sont dans ton cœur ?

— Je vous dirai que vous parlez d’une femme que vous ne connaissez pas.

— Oui, mais tu ne me diras pas que tu as été séduit et entraîné par ces qualités qui, étant aussi en elle, se sont mariées aux tiennes. Tu as été séduit par ses défauts, par ses vices, par son savoir de vieille femme, qui depuis vingt-cinq ans a étudié, pratiqué, expérimenté sur le sujet vivant, dont elle fait rapidement un cadavre, toute les roueries de la passion qu’elle peut jouer, j’en suis convaincu, avec un art incomparable. Je les connais, ces habiletés de vieilles femmes qui se font les mères en même temps que les maîtresses de leurs jeunes amants, leur préparant d’une main expérimentée la cantharide ou le haschisch et de l’autre les enveloppant de flanelle. Voilà ce qui m’épouvante pour toi et me fait te tenir ce discours, que je t’épargnerais comme je me l’épargnerais moi-même, si, au lieu d’être aux mains de cette femme, tu aimais la première venue ; une jeune fille, n’importe qui, la fille de ton con-