Page:Malot - Cara, 1878.djvu/360

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Au milieu du premier tableau, Byasson vint occuper un de ces fauteurls : il n’y avait pas de première représensation ce soirlà, et, ne sachant que faire, il était venu à l’Opéra plutôt pour ne pas se coucher trop tôt que pour voir mademoiselle Harol qu’il ne connaissait pas et dont il n’avait pas souci ; ce n’était pas une de ces débutantes qui, par le bruit dont elles ont soin de s’entourer, forcent l’attention.

Hamlet, en scène, exhalait ses plaintes sur l’inconstance et la fragilité des femmes, Byasson essuya les verres de sa lorgnette et se mit à examiner la salle, allant de loge en loge.

Il était absorbé dans cet examen et il tournait le dos à la scène lorsque, brusquement, il changea de position et braqua sa lorgnette sur le théâtre : une voix qu’il avait déjà entendue venait de réciter les premiers mots du rôle d’Ophélie :

 Hélas ! votre âme, en proie

A d’éternels regrets, condamne votre joie !

Et le roi, m’a-t-on dit, a reçu vos adieux !

Ce n’était pas seulement cette voix qu’il avait déjà entendue ; celle qui chantait, il l’avait déjà vue aussi !

Madeleine !

Et, n’écoutant plus, il regarda ; mais l’éclairage de la rampe change les traits ; d’autre part, le blanc, le rouge et tous les ajustements de théâtre substituent si bien le faux au vrai, qu’il resta assez longtemps la lorgnette braquée sans savoir à quoi s’en tenir.

Il avait si souvent pensé à Madeleine qu’il devait être en ce moment le jouet d’une illusion : il voyait Madeleine parce que Madeleine occupait son esprit.