Page:Malot - Cara, 1878.djvu/389

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— Tu crois donc, dit-elle en s’efforçant de prendre un ton enjoué, qu’une comédienne ne peut pas avoir de la noblesse et que ses yeux ne peuvent pas être doux ?

— En lisant un journal ce matin, je n’ai rien cru, rien imaginé, j’ai été bouleversé, et dans mon trouble de joie je suis parti pour venir ici. C’est en te regardant que le souvenir de ce que j’avais lu m’est revenu et que j’ai, sans avoir bien conscience de ce que je faisais, comparé celle que je voyais, que je revoyais après l’avoir crue perdue, à celle dont j’avais gardé l’image dans mon cœur.

Tout cela était bien tendre, bien passionné, et tel que Madeleine devait croire que Byasson ne s’était pas trompé en disant que Léon l’aimait toujours ; mais comment l’aimait-il ? En cousin ? en amant ? d’amitié ? d’amour ?

Lorsqu’elle avait pensé à la visité de Léon, elle s’était dit qu’elle devait garder son sang-froid et s’appliquer à l’écouter avec un esprit calme, à l’examiner, à le juger pour savoir ce qui se passait en lui et quels étaient présentement ses sentiments ; mais voilà qu’elle n’était plus maîtresse de sa volonté, voilà qu’elle l’écoutait avec un cœur palpitant et troublé, voilà qu’au lieu de voir ce qui se passait en lui, elle voyait ce qui se passait en elle et se trouvait irrésistiblement entraînée par un sentiment dont elle ne pouvait se cacher ni l’étendue ni la force, — elle l’aimait, malgré tout, malgré sa liaison, malgré son mariage avec cette femme, elle l’aimait comme dans la nuit où, faisant son examen de conscience, elle avait dû s’avouer cet amour, et même plus passionnément, puisque depuis elle avait souffert pour lui, elle avait souffert par lui.