Page:Malot - Cara, 1878.djvu/85

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son père ; mais une extrême réserve lui était imposée en un pareil sujet, et aux premiers mots qu’elle avait osé risquer, son oncle lui avait fermé la bouche :

— As-tu confiance en moi ?

— Oh ! mon oncle.

— Eh bien ! ma mignonne, laisse-moi faire ; Léon m’a dit que tu abandonnais tous tes droits, nous aurons égard à ta volonté, qui est respectable ; pour le reste, je pense que tu voudras bien t’en rapporter à ceux qui ont l’habitude des affaires ; je te promets de te remettre aux mains les quittances de tous ceux à qui ton père devait ; cela, il me semble, doit te suffire.

Évidemment cela devait lui suffire, et l’observation de son oncle était parfaitement juste. N’était-ce pas lui qui payait ? Il avait bien le droit, alors, de vouloir garder la direction d’une affaire qui, en fin de compte, lui coûterait assez cher.

Elle se disait, elle se répétait tout cela, et cependant elle était tourmentée autant qu’affligée que son oncle ne lui parlât jamais de ce qui se passait à Rouen. Pourquoi ce silence ? Qui plus qu’elle pouvait prendre à cœur de sauver l’honneur de son père et de défendre sa mémoire ? De tous les malheurs qu’apporte la pauvreté, celui-là était pour elle le plus douloureux et le plus humiliant : rien, elle ne pouvait rien, pas même parler, pas même savoir ; elle n’avait qu’à attendre dans son impuissance et surtout dans une confiance apparente.

Du côté d’Eugène Saffroy, son tourment, pour être moins profond, n’était pourtant pas sans avoir quelque chose de blessant.

Fils d’un ancien commis des Daguillon, cet Eugène Saffroy avait été recueilli, après la mort de ses parents,