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Page:Malot - En famille, 1893.djvu/158

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EN FAMILLE.

— J’ai bien vu.

— Pourvu que tante Zénobie ne le sache pas, elle me les prendrait pour me les garder.

— J’ai cru qu’il ne vous connaissait pas.

— Comment ! il ne me connaît pas ; il est mon parrain !

— Il a demandé : « où est Rosalie ? » quand vous étiez près de lui.

— Dame, puisqu’il n’y voit pas.

— Il n’y voit pas !

— Vous ne savez pas qu’il est aveugle ?

— Aveugle ! »

Tout bas elle répéta le mot deux ou trois fois.

« Il y a longtemps qu’il est aveugle ? dit-elle.

— Il y a longtemps que sa vue faiblissait, mais on n’y faisait pas attention, on pensait que c’était le chagrin de l’absence de son fils. Sa santé, qui avait été bonne, devint mauvaise : il eut des fluxions de poitrine, et il resta avec la toux ; et puis, un jour il ne vit plus ni pour lire, ni pour se conduire. Pensez quelle inquiétude dans le pays, s’il était obligé de vendre ou d’abandonner les usines ! Ah ! bien oui, il n’a rien abandonné du tout, et a continué de travailler comme s’il avait ses bons yeux. Ceux qui avaient compté sur sa maladie pour faire les maîtres, ont été remis à leur place, — elle baissa la voix, — les neveux et M. Talouel le directeur. »

Zénobie, sur le seuil, cria :

« Rosalie, vas-tu venir, fichue caleuse ?

— Je finis d’ manger.