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EN FAMILLE.

qu’elle coupât ses morceaux de pain, elle ne put pas les multiplier indéfiniment, et quand il ne lui en resta plus, le soleil était encore haut à l’horizon ; alors s’asseyant au fond de l’aumuche sur le billot, la porte ouverte, ayant devant elle l’étang et au loin les prairies coupées de rideaux d’arbres, elle rêva au plan de vie qu’elle devait se tracer.

Pour son existence matérielle trois points principaux d’une importance capitale se présentaient : le logement, la nourriture, l’habillement.

Le logement grâce à la découverte qu’elle avait eu l’heureuse chance de faire de cette île, se trouvait assuré au moins jusqu’en octobre, sans qu’elle eût rien à dépenser.

Mais la question de nourriture et d’habillement ne se résolvait pas avec cette facilité.

Était-il possible que pendant des mois et des mois, une livre de pain par jour fût un aliment suffisant pour entretenir les forces qu’elle dépensait dans son travail ? Elle n’en savait rien, puisque jusqu’à ce moment elle n’avait pas travaillé sérieusement ; la peine, la fatigue, les privations, oui, elle les connaissait, seulement c’était par accident, pour quelques jours malheureux suivis d’autres qui effaçaient tout ; tandis que le travail répété, continu, elle n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait être, pas plus que des dépenses qu’il exigeait à la longue. Sans doute, elle trouvait que depuis deux jours ses repas tournaient court ; mais ce n’était là, en somme, qu’un ennui pour qui avait connu comme elle le supplice de la faim ; qu’elle restât sur son appétit n’était rien, si elle conservait la santé et la force. D’ailleurs, elle pourrait bientôt augmenter sa ration, et aussi mettre sur son pain un peu de