caraco et la jupe n’avaient rien perdu de leur utilité à ses yeux ; mais la chemise aussi était indispensable, et, de plus, elle se présentait avec tout un entourage d’autres considérations : habitudes de propreté dans lesquelles elle avait été élevée, respect de soi-même, qui finirent par l’emporter. La veste, le jupon elle les raccommoderait encore, et comme leur étoffe était de fabrication solide, ils porteraient bien sans doute quelques nouvelles reprises.
Tous les jours, quand à l’heure du déjeuner elle allait de l’usine à la maison de mère Françoise pour demander des nouvelles de Rosalie, qu’on lui donnait ou qu’on ne lui donnait point, selon que c’était la grand’mère ou la tante qui lui répondaient, elle s’arrêtait, depuis que l’envie de la chemise la tenait, devant une petite boutique dont la montre se divisait en deux étalages, l’un de journaux, d’images, de chansons, l’autre de toile, de calicot, d’indienne, de mercerie ; se plaçant au milieu, elle avait l’air de regarder les journaux ou d’apprendre les chansons, mais en réalité elle admirait les étoffes. Comme elles étaient heureuses, celles qui pouvaient franchir le seuil de cette boutique tentatrice et se faire couper autant de ces étoffes qu’elles voulaient ! Pendant ses longues stations, elle avait vu souvent des ouvrières de l’usine entrer dans ce magasin, et en ressortir avec des paquets soigneusement enveloppés de papier, qu’elles serraient sur leur cœur, et elle s’était dit que ces joies n’étaient pas pour elle… au moins présentement.
Mais maintenant elle pouvait franchir ce seuil si elle voulait, puisque trois pièces blanches sonnaient dans sa main, et très émue, elle le franchit.