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Page:Malot - En famille, 1893.djvu/247

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EN FAMILLE.

— Je ne paye pas.

— Ah ! »

Elle resta un moment arrêtée, puis la curiosité l’emporta.

« Chez qui ? »

Cette fois Perrine ne put pas se dérober à cette question directe :

« Je vous dirai cela plus tard.

— Quand vous voudrez ; seulement vous savez, lorsqu’en passant vous verrez tante Zénobie dans la cour ou sur la porte, il vaudra mieux ne pas entrer : elle vous en veut ; venez le soir plutôt, à cette heure-là elle est occupée. »

Perrine rentra à l’atelier attristée de cet accueil ; en quoi donc était-elle coupable de ne pas pouvoir continuer à habiter la chambrée de mère Françoise ?

Toute la journée elle resta sous cette impression, qui revint plus forte quand le soir elle se trouva seule dans l’aumuche, n’ayant rien à faire pour la première fois depuis huit jours. Alors, afin de la secouer, elle eut l’idée de se promener dans les prairies qui entouraient son île, ce qu’elle n’avait pas encore eu le temps de faire. La soirée était d’une beauté radieuse, non pas éblouissante comme elle se rappelait celles de ses années d’enfance dans son pays natal, ni brûlante sous un ciel d’indigo, mais tiède, et d’une clarté tamisée qui montrait les cimes des arbres baignées dans une vapeur d’or pâle : les foins, qui n’étaient pas encore mûrs, mais dont les plantes défleurissaient déjà, versaient dans l’air mille parfums qui se concentraient en une senteur troublante.

Sortie de son île, elle suivit la rive de l’entaille, marchant dans les herbes hautes qui depuis leur pousse printanière