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EN FAMILLE.

sarcelle qui avaient dit à son estomac que depuis quinze jours bientôt, elle ne lui donnait que du pain sec et de l’eau : et c’étaient ces œufs qui avaient guidé son rêve en lui montrant ces marmitons et toutes ces cuisines fantastiques ; il avait faim de ces bonnes choses cet estomac et il le disait à sa manière en provoquant ces visions, qui en réalité n’étaient que des protestations.

Pourquoi n’avait-elle pas pris ces œufs, ou quelques-uns de ces œufs qui n’appartenaient à personne, puisque la sarcelle qui les avait pondus était une bête sauvage ? Assurément, n’ayant à sa disposition ni casserole, ni poêle, ni ustensile d’aucune sorte, elle ne pouvait se préparer aucun des plats qui venaient de défiler devant ses yeux, tous plus alléchants, plus savants les uns que les autres ; mais c’est là le mérite des œufs précisément qu’ils n’ont pas besoin de préparations savantes : une allumette pour mettre le feu à un petit tas de bois sec ramassé dans les taillis ; et sous la cendre il lui était facile de les faire cuire comme elle voulait, à la coque ou durs, en attendant qu’elle pût se payer une casserole ou un plat. Pour ne pas ressembler au festin que son rêve avait inventé, ce serait un régal qui aurait son prix.

Plus d’une fois pendant son travail ce pourquoi lui revint à l’esprit, et si ce ne fut pas avec le caractère d’une obsession comme son rêve, il fut cependant assez pressant pour qu’à la sortie elle se trouvât décidée à acheter une boîte d’allumettes et un sou de sel ; puis ces acquisitions faites elle partit en courant pour revenir à son entaille.

Elle avait trop bien retenu la place du nid pour ne pas le retrouver tout de suite, mais ce soir-là la mère ne l’occupait