Aller au contenu

Page:Malot - En famille, 1893.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
EN FAMILLE.

paupières, fut-il si agité qu’elle se réveilla cent fois. Alors elle s’efforçait de se calmer en se disant qu’elle devait suivre la marche des événements sans chercher à les deviner heureux ou malheureux ; qu’il n’y avait que cela de raisonnable ; que ce n’était pas quand les choses semblaient prendre une direction si favorable qu’elle pouvait se tourmenter ; enfin qu’il fallait attendre ; mais les plus beaux discours, quand on se les adresse à soi-même, n’ont jamais fait dormir personne, et même plus ils sont beaux plus ils ont chance de nous tenir éveillés.

Le lendemain matin quand le sifflet de l’usine se fit entendre, elle alla frapper aux portes des deux monteurs pour leur annoncer qu’il était l’heure de se lever ; mais des ouvriers anglais n’obéissent pas plus au sifflet qu’à la sonnette, sur le continent au moins, et ce ne fut qu’après avoir fait une toilette que ne connaissent pas les Picards, et après avoir absorbé de nombreuses tasses de thé, avec de copieuses rôties bien beurrées, qu’ils se rendirent à leur travail, suivis de Perrine qui les avait discrètement attendus devant la porte, en se demandant s’ils en finiraient jamais, et si M. Vulfran ne serait pas à l’usine avant eux.

Ce fut seulement dans l’après-midi qu’il vint accompagné d’un de ses neveux, le plus jeune, M. Casimir, car ne pouvant pas voir avec ses yeux voilés, il avait besoin qu’on vît pour lui.

Mais ce fut un regard dédaigneux, que Casimir jeta sur le travail des monteurs, qui, à dire vrai, ne consistait encore qu’en préparation :

« Il est probable que ces garçons-là ne feront pas grand’-