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EN FAMILLE.

« Savez-vous que cette petite ferait un excellent ingénieur, dit-il à mi-voix, mais pas assez bas cependant pour que Perrine ne l’entendît point.

— Positivement elle est étonnante pour la décision.

— Et pour bien d’autres choses encore, je crois ; elle m’a traduit hier le Dundee News plus intelligemment que Bendit ; et c’était la première fois qu’elle lisait la partie commerciale d’un journal.

— Sait-on ce qu’étaient ses parents ?

— Peut-être Talouel le sait-il, moi je l’ignore.

— En tout cas elle paraît être dans une misère pitoyable.

— Je lui ai donné cinq francs pour sa nourriture et son logement.

— Je veux parler de sa tenue : sa veste est une dentelle ; je n’ai jamais vu jupe pareille à la sienne que sur le corps des bohémiennes ; certainement elle a dû fabriquer elle-même les espadrilles dont elle est chaussée.

— Et la physionomie, qu’est-elle, Benoist ?

— Intelligente, très intelligente.

— Vicieuse ?

— Non, pas du tout ; honnête au contraire, franche et résolue ; ses yeux perceraient une muraille et cependant ils ont une grande douceur, avec de la méfiance.

— D’où diable nous vient-elle ?

— Pas de chez nous assurément.

— Elle m’a dit que sa mère était Anglaise.

— Je ne trouve pas qu’il y ait en elle rien des Anglais que j’ai connus ; c’est autre chose, tout autre chose ; avec cela jolie, et d’autant plus que son costume réellement misérable