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EN FAMILLE.

étaient des hommes capables de savoir les choses aussi bien que de juger les gens, elle ne pouvait pas plus ajouter foi à la sincérité de ce discours, qu’avoir confiance dans le dévouement du directeur : il voulait la faire parler, voilà tout, et pour en arriver là tous les moyens lui étaient bons : le mensonge, la tromperie, l’hypocrisie. Elle eût pu avoir des doutes à ce sujet, que la tentative de Théodore auprès d’elle devait l’empêcher de les admettre : pas plus que le neveu, le directeur n’était sincère, l’un et l’autre voulaient savoir ce que disait la lettre de Dakka et ne voulaient que cela ; c’était donc contre eux que M. Vulfran prenait ses précautions quand il lui disait : « S’il se trouve quelqu’un qui ose t’interroger, tu dois non seulement ne rien dire, mais même ne laisser rien deviner ; » et c’était à M. Vulfran, qui certainement avait prévu ces tentatives, à lui seul qu’elle devait obéir, sans prendre autrement souci des colères et des haines qu’elle allait accumuler contre elle.

Il était debout devant elle, appuyé sur son bureau, penché vers elle, la tenant dans ses yeux, l’enveloppant, la dominant ; elle fit appel à tout son courage, et d’une voix un peu rauque qui trahissait son émotion, mais qui ne tremblait pas cependant, elle dit :

« M. Vulfran m’a défendu de parler de cette lettre à personne. »

Il se redressa furieux de cette résistance, mais presque aussitôt, se penchant de nouveau vers elle en se faisant caressant dans les manières comme dans l’accent :

« Justement je ne suis personne, puisque je suis son second, un autre lui-même.