Page:Malot - En famille, 1893.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
EN FAMILLE.

une compensation de voir que les neveux éprouvaient une fureur égale à la sienne. Qu’ils étaient donc amusants en jetant sur elle des regards impatients dans lesquels il y avait autant de colère que de surprise. Évidemment ils ne comprenaient rien à sa présence dans ce cabinet sacré, où eux-mêmes ne restaient que juste le temps nécessaire pour écouter les explications que leur oncle avait à leur donner, ou pour rapporter les affaires dont ils étaient chargés. Et les coups d’œil qu’ils échangeaient en se consultant sans oser prendre un parti, sans même oser risquer une observation ou une question le faisaient rire sans qu’il prît la peine de leur cacher sa satisfaction et sa moquerie, car si une guerre ouverte n’était pas déclarée entre eux, il y avait beaux jours qu’ils savaient à quoi s’en tenir les uns et les autres, sur leurs sentiments réciproques nés des secrètes espérances que chacun nourrissait de son côté : Talouel contre les neveux ; les neveux contre Talouel ; ceux-ci l’un contre l’autre.

Ordinairement Talouel se contentait de leur marquer son hostilité par des sourires ironiques ou des silences méprisants sous une forme de politesse humble, mais ce jour-là il ne put pas résister à l’envie de leur jouer une comédie de sa façon qui lui donnerait quelques instants d’agrément : ah ! ils le prenaient de haut avec lui parce qu’ils se croyaient tous les droits en vertu de leur naissance, — neveux bien au-dessus de directeur ; l’un parce qu’il était fils d’un frère, l’autre fils d’une sœur du patron, tandis que lui qui n’était que fils de ses œuvres, avait de toutes ses forces travaillé au succès de la glorieuse maison qui pour une part, une grosse part, était sienne, eh bien ! ils allaient voir. Ah ! ah !