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Page:Malot - En famille, 1893.djvu/50

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EN FAMILLE.

Son sommeil fut mauvais, fiévreux, troublé, agité, halluciné, et quand le médecin vint le lendemain matin il la trouva plus mal, ce qui lui fit changer le traitement et obligea Perrine à retourner chez le pharmacien, qui cette fois lui demanda cinq francs. Elle ne broncha pas et paya bravement ; mais en revenant elle ne respirait plus. Si les dépenses continuaient ainsi, comment gagneraient-elles le mercredi qui leur mettrait aux mains le produit de la vente du pauvre Palikare ? Si le lendemain le médecin prescrivait une nouvelle ordonnance coûtant cinq francs, ou plus, où trouverait-elle cette somme ?

Au temps où avec ses parents elle parcourait les montagnes, ils avaient plus d’une fois été exposés à la famine, et plus d’une fois aussi, depuis qu’ils avaient quitté la Grèce pour venir en France, ils avaient manqué de pain. Mais ce n’était pas du tout la même chose. Pour la famine dans les montagnes, ils avaient toujours l’espérance, qui se réalisait souvent, de trouver quelques fruits, des légumes, un gibier qui leur apporteraient un bon repas. Pour le manque de pain en Europe, ils avaient aussi celle de rencontrer des paysans grecs, bosniaques, styriens, tyroliens, qui consentiraient à se faire photographier moyennant quelques sous. Tandis qu’à Paris il n’y a rien à attendre pour ceux qui n’ont pas d’argent en poche, et le leur tirait à sa fin. Alors, que feraient-elles ? Et le terrible, c’est qu’elle devait répondre à cette question, elle ne sachant rien, ne pouvant rien ; l’effroyable, c’est qu’elle devait prendre la responsabilité de tout, puisque la maladie rendait sa mère incapable de s’ingénier, et qu’elle se trouvait ainsi la vraie mère, quand elle ne se sentait qu’une enfant.