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EN FAMILLE.

« Voulez-vous me donner une tasse de bouillon pour notre malade ? » demanda-t-elle.

Ce fut par un sourire qu’il répondit, et tout de suite il ôta le couvercle de son pot en terre qui bouillottait dans la cheminée devant un petit feu de bois ; alors comme le fumet du bouillon se répandait dans la pièce il regarda la Marquise, les yeux écarquillés, les narines dilatées avec une expression de béatitude en même temps que de fierté.

« Oui ça sent bon, dit-elle, et si ça pouvait sauver la pauvre femme, ça la sauverait : mais, — elle baissa la voix, — vous savez elle est bien mal ; ça ne peut pas durer longtemps. »

La Carpe leva les bras au ciel.

« C’est bien triste pour cette petite. »

La Carpe inclina la tête et étendit les bras par un geste qui disait :

« Qu’y pouvons-nous ? »

Et de fait, ce qu’ils pouvaient, ils le faisaient l’un et l’autre, mais le malheur est chose si habituelle aux malheureux qu’ils ne s’en étonnent pas, pas plus qu’ils ne s’en révoltent. Qui d’eux n’a pas à souffrir en ce monde ? Toi aujourd’hui, moi demain.

Quand le bol fut rempli, la Marquise l’emporta en trottinant pour ne pas perdre une goutte de bouillon.

« Prenez ça, ma chère dame, dit-elle en s’agenouillant auprès du matelas, et surtout ne bougez pas, entr’ouvrez seulement les lèvres. »

Délicatement, une cuillerée de bouillon lui fut versée dans la bouche ; mais, au lieu de passer, elle provoqua des nausées