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EN FAMILLE.

Enfin on s’arrêta dans une allée déserte et elle vit autour d’elle la Marquise qui l’avait lâchée, Grain de Sel, La Carpe, et le marchand de sucre, mais ce fut vaguement qu’elle les reconnut : la Marquise avait des rubans noirs à son bonnet, Grain de Sel était habillé en monsieur et coiffé d’un chapeau à haute forme, La Carpe avait remplacé son éternel tablier de cuir par une redingote noisette qui lui descendait jusqu’aux pieds, et le marchand de sucre sa veste de coutil blanc par un veston de drap, car tous en vrais Parisiens qui pratiquent le culte de la Mort, avaient tenu à se mettre en grande tenue pour honorer celle qu’ils venaient d’enterrer.

« C’est pour te dire, petite, commença Grain de Sel, qui crut pouvoir prendre le premier la parole comme étant le personnage le plus important de la compagnie, c’est pour te dire que tu peux loger au Champ Guillot tant que tu voudras, sans payer.

— Si tu veux chanter avec moi, continua la Marquise, tu gagneras ta vie : c’est un joli métier.

— Si tu aimes mieux la confiserie, dit le marchand de sucre de guimauve, je te prendrai : c’est aussi un joli métier, et un vrai. »

La Carpe ne dit rien, mais avec un sourire de sa bouche close et un geste de sa main qui semblait présenter quelque chose, il exprima clairement l’offre qu’il faisait à son tour : à savoir que toutes les fois qu’elle aurait besoin d’une tasse de bouillon, elle en trouverait une chez lui, et du fameux.

Ces propositions s’enchaînant ainsi emplirent de larmes les yeux de Perrine, et la douceur de celles-là lava l’âcreté de celles qui depuis deux jours la brûlaient.