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EN FAMILLE.

son angoisse fut de se dire qu’ils travaillaient avec une telle ardeur qu’ils auraient bientôt dépouillé tout le champ.

Mais ils furent dérangés ; au loin, on entendit le roulement d’une charrette sur le pavé, et quand elle approcha ils se blottirent entre les tiges des artichauts, si bien rasés qu’elle ne les voyait plus.

La charrette passée, ils reprirent leur besogne avec une activité que le repos avait renouvelée.

Cependant, si furieux que fût leur travail, elle se disait qu’il ne finirait jamais ; d’un instant à l’autre on allait venir les arrêter, et sûrement elle avec eux.

Si elle pouvait se sauver ! Elle chercha le moyen de sortir de la cabane, ce qui, à vrai dire, n’était pas difficile ; mais où irait-elle sans être exposée à faire du bruit et à révéler ainsi sa présence qui, si elle ne bougeait pas, devait rester ignorée ?

Alors elle se recoucha et feignit de dormir, car puisqu’il lui était impossible de sortir sans s’exposer à être arrêtée au premier pas, le mieux encore était qu’elle parût n’avoir rien vu, si les voleurs entraient dans la cabane.

Pendant un certain temps encore ils continuèrent leur récolte, puis, après un coup de sifflet qu’ils lancèrent, un bruit de roues se fit entendre sur la route et bientôt leur voiture s’arrêta au bout du champ ; en quelques minutes elle fut chargée et au grand trot elle s’éloigna du côté de Paris.

Si elle avait su l’heure, elle aurait pu se rendormir jusqu’à l’aube, mais, n’ayant pas conscience du temps qu’elle avait passé là, elle jugea qu’il était prudent à elle de se remettre en route : aux champs on est matineux ; si au jour levant un paysan la voyait sortir de cette pièce dépouillée, ou même