Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
SANS FAMILLE

— Je vous défends de frapper cet enfant, dit-il ; ce que vous avez fait est une lâcheté.

L’agent voulut dégager sa main, mais Vitalis serra la sienne.

Et, pendant quelques secondes, les deux hommes se regardèrent en face, les yeux dans les yeux.

L’agent était fou de colère.

Mon maître était magnifique de noblesse : il tenait haute sa belle tête encadrée de cheveux blancs et son visage exprimait l’indignation et le commandement.

Il me sembla que, devant cette attitude, l’agent allait rentrer sous terre, mais il n’en fut rien ; d’un mouvement vigoureux, il dégagea sa main, empoigna mon maître par le collet et le poussa devant lui avec brutalité.

Vitalis faillit tomber, tant la poussée avait été rude ; mais il se redressa, et, levant son bras droit, il en frappa fortement le poignet de l’agent.

Mon maître était un vieillard vigoureux, il est vrai, mais enfin un vieillard ; l’agent, un homme jeune encore et plein de force, la lutte entre eux n’aurait pas été longue.

Mais il n’y eut pas lutte.

— Que voulez-vous ? demanda Vitalis.

— Je vous arrête, suivez-moi au poste.

— Pourquoi avez-vous frappé cet enfant ?

— Pas de paroles, suivez-moi !

Vitalis ne répondit pas, mais se tournant vers moi :

— Rentre à l’auberge, me dit-il, restes-y avec les chiens, je te ferai parvenir des nouvelles.

Il n’en put pas dire davantage, l’agent l’entraîna.