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SANS FAMILLE

Au mot souper, il y eut un grognement général.

Je montrai mes trois sous.

— Vous savez que c’est tout ce qui nous reste ; si nous dépensons nos trois sous ce soir, nous n’aurons rien pour déjeuner demain ; or, comme nous avons mangé aujourd’hui, je trouve qu’il est sage de penser au lendemain.

Et je remis mes trois sous dans ma poche.

Capi et Dolce baissèrent la tête avec résignation. Mais Zerbino, qui n’avait pas toujours bon caractère et qui de plus était gourmand, continua de gronder.

Après l’avoir regardé sévèrement sans pouvoir le faire taire, je me tournai vers Capi :

— Explique à Zerbino, lui dis-je, ce qu’il paraît ne pas vouloir comprendre ; il faut nous priver d’un second repas aujourd’hui, si nous voulons en faire un seul demain.

Aussitôt Capi donna un coup de patte à son camarade et une discussion parut s’engager entre eux.

Qu’on ne trouve pas le mot « discussion » impropre parce qu’il est appliqué à deux bêtes. Il est bien certain, en effet, que les bêtes ont un langage particulier à chaque espèce. Si vous avez habité une maison aux corniches ou aux fenêtres de laquelle les hirondelles suspendent leurs nids, vous êtes assurément convaincu que ces oiseaux ne sifflent pas simplement un petit air de musique, alors qu’au jour naissant, elles jacassent si vivement entre elles : ce sont de vrais discours qu’elles tiennent, des affaires sérieuses qu’elles agitent, ou des paroles de tendresse qu’elles