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SANS FAMILLE

moi, il avait dû vendre sa montre, la grosse montre en argent sur laquelle j’avais vu Capi dire l’heure, quand Vitalis m’avait engagé dans la troupe.

C’était au jour de m’apprendre ce que je ne pouvais plus demander à notre bonne grosse montre.

Mais rien au dehors ne pouvait me répondre : en bas, sur le sol, une ligne blanche éblouissante : au-dessus et dans l’air un brouillard sombre ; au ciel une lueur confuse, avec çà et là des teintes d’un jaune sale.

Rien de tout cela n’indiquait à quelle heure de la journée nous étions.

Les oreilles n’en apprenaient pas plus que les yeux, car il s’était établi un silence absolu que ne venait troubler ni un cri d’oiseau, ni un coup de fouet, ni un roulement de voiture ; jamais nuit n’avait été plus silencieuse que cette journée.

Avec cela régnait autour de nous une immobilité complète ; la neige avait arrêté tout mouvement, tout pétrifié ; de temps en temps seulement, après un petit bruit étouffé, à peine perceptible, on voyait une branche de sapin se balancer lourdement ; sous le poids qui la chargeait, elle s’était peu à peu inclinée vers la terre, et quand l’inclinaison avait été trop raide, la neige avait glissé jusqu’en bas ; alors la branche s’était brusquement redressée, et son feuillage d’un vert noir tranchait sur le linceul blanc qui enveloppait les autres arbres depuis la cime jusqu’aux pieds, de sorte que lorsqu’on regardait de loin on croyait voir un trou sombre s’ouvrir çà et là dans ce linceul.

Comme je restais dans l’embrasure de la porte,