Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
SANS FAMILLE

une boisson chaude, et nous n’avions ni l’un ni l’autre ; heureux encore d’avoir du feu.

Nous nous étions assis, mon maître et moi, autour du foyer, sans rien dire, et nous restions là, immobiles, regardant le feu brûler.

Mais il n’était pas besoin de paroles, il n’était pas besoin de regard pour exprimer ce que nous ressentions.

— Pauvre Zerbino, pauvre Dolce, pauvres amis !

C’étaient les paroles que tous deux nous murmurions chacun de notre côté, ou tout au moins les pensées de nos cœurs.

Ils avaient été nos camarades, nos compagnons de bonne et mauvaise fortune, et pour moi, pendant mes jours de détresse et de solitude, mes amis, presque mes enfants.

Et j’étais coupable de leur mort.

Car je ne pouvais m’innocenter : si j’avais fait bonne garde comme je le devais, si je ne m’étais pas endormi, ils ne seraient pas sortis, et les loups ne seraient pas venus nous attaquer dans notre cabane, ils auraient été retenus à distance, effrayés par notre feu.

J’aurais voulu que Vitalis me grondât ; j’aurais presque demandé qu’il me battît.

Mais il ne me disait rien, il ne me regardait même pas ; il restait la tête penchée au-dessus du foyer : sans doute il songeait à ce que nous allions devenir sans les chiens. Comment donner nos représentations sans eux ? Comment vivre ?