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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/240

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SANS FAMILLE

Mon maître ne m’avait jamais fait part de ses affaires, et c’était d’une façon incidente que j’avais appris qu’il avait dû vendre sa montre pour m’acheter ma peau de mouton, mais dans les circonstances difficiles que nous traversions, il crut devoir s’écarter de cette règle.

Un matin, en revenant de déjeuner, tandis que j’étais resté auprès de Joli-Cœur que nous ne laissions pas seul, il m’apprit que l’aubergiste avait demandé le paiement de ce que nous devions, si bien qu’après ce paiement, il ne lui restait plus que cinquante sous.

Que faire ?

Naturellement je ne trouvai pas de réponse à cette question.

Pour lui, il ne voyait qu’un moyen de sortir d’embarras, c’était de donner une représentation le soir même.

Une représentation sans Zerbino, sans Dolce, sans Joli-Cœur ! cela me paraissait impossible.

Mais nous n’étions pas dans une position à nous arrêter découragés devant une impossibilité : il fallait à tout prix soigner Joli-Cœur et le sauver : le médecin, les médicaments, le feu, la chambre, nous obligeaient à faire une recette immédiate d’au moins quarante francs pour payer l’aubergiste qui, voyant la couleur de notre argent, nous ouvrirait un nouveau crédit.

Quarante francs dans ce village, par ce froid, et avec les ressources dont nous disposions, quel tour de force !

Cependant mon maître, sans s’attarder aux réflexions, s’occupa activement à le réaliser.