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SANS FAMILLE

Le nez collé contre la muraille je faisais effort pour chasser ces idées et m’endormir comme il me l’avait ordonné ; mais c’était impossible ; le sommeil ne venait pas ; je ne m’étais jamais senti si bien éveillé.

Au bout d’un certain temps, je ne saurais dire combien, j’entendis qu’on s’approchait de mon lit.

Au pas lent, traînant et lourd je reconnus tout de suite que ce n’était pas mère Barberin.

Un souffle chaud effleura mes cheveux.

— Dors-tu ? demanda une voix étouffée.

Je n’eus garde de répondre, car les terribles mots : « je me fâche » retentissaient encore à mon oreille.

— Il dort, dit mère Barberin ; aussitôt couché, aussitôt endormi, c’est son habitude ; tu peux parler sans craindre qu’il t’entende.

Sans doute, j’aurais dû dire que je ne dormais pas, mais je n’osai point ; on m’avait commandé de dormir, je ne dormais pas, j’étais en faute.

— Ton procès, où en est-il ? demanda mère Barberin.

— Perdu ! Les juges ont décidé que j’étais en faute de me trouver sous les échafaudages et que l’entrepreneur ne me devait rien.

Là-dessus il donna un coup de poing sur la table et se mit à jurer sans dire aucune parole sensée.

— Le procès perdu, reprit-il bientôt ; notre argent perdu, estropié, la misère ; voilà ! Et comme si ce n’était pas assez, en rentrant ici je trouve un enfant. M’expliqueras-tu pourquoi tu n’as pas fait comme je t’avais dit de faire ?

— Parce que je n’ai pas pu.