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SANS FAMILLE

pour t’envoler ; seulement tu auras soin de faire comme les hirondelles et les rossignols, tu choisiras ta saison pour te mettre en route.

La maison à la porte de laquelle nous étions venus nous abattre dépendait de la Glacière ; et le jardinier qui l’occupait se nommait Acquin. Au moment où l’on me reçut dans cette maison, la famille se composait de cinq personnes : le père qu’on appelait père Pierre ; deux garçons, Alexis et Benjamin, et deux filles, Étiennette, l’aînée, et Lise, la plus jeune des enfants.

Lise était muette, mais non muette de naissance ; c’est-à-dire que le mutisme n’était point chez elle la conséquence de la surdité. Pendant deux ans elle avait parlé, puis tout à coup, un peu avant d’atteindre sa quatrième année, elle avait perdu l’usage de la parole. Cet accident, survenu à la suite de convulsions, n’avait heureusement pas atteint son intelligence, qui s’était au contraire développée avec une précocité extraordinaire ; non-seulement elle comprenait tout, mais encore elle disait, elle exprimait tout. Dans les familles pauvres et même dans beaucoup d’autres familles, il arrive trop souvent que l’infirmité d’un enfant est pour lui une cause d’abandon ou de répulsion. Mais cela ne s’était pas produit pour Lise, qui, par sa gentillesse et sa vivacité, son humeur douce et sa bonté expansive, avait échappé à cette fatalité. Ses frères la supportaient sans lui faire payer son malheur ; son père ne voyait que par elle ; sa sœur aînée Étiennette l’adorait.

Autrefois le droit d’aînesse était un avantage dans