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SANS FAMILLE

dont je parle, sous un épais couvert de saules et de peupliers, et sur ses bords s’étendent de vertes prairies qui montent doucement jusqu’à des petits coteaux couronnés de maisons et de jardins ; l’herbe est fraîche et drue au printemps, les pâquerettes émaillent d’étoiles blanches son tapis d’émeraude, et dans les saules qui feuillissent, dans les peupliers dont les bourgeons sont enduits d’une résine visqueuse, les oiseaux, le merle, la fauvette, le pinson voltigent en disant par leurs chants qu’on est encore à la campagne et non déjà à la ville.

Ce fut ainsi que je vis cette petite vallée, — qui depuis a bien changé, — et l’impression qu’elle m’a laissée est vivace dans mon souvenir comme au jour où je la reçus. Si j’étais peintre je vous dessinerais le rideau de peupliers sans oublier un seul arbre, — et les gros saules avec les groseillers épineux qui verdissaient sur leurs têtes, les racines implantées dans leur tronc pourri, — et les glacis des fortifications sur lesquels nous faisions de si belles glissades en nous lançant sur un seul pied, — et la Butte-aux-Cailles avec son moulin à vent ; — et la cour Sainte-Hélène avec sa population de blanchisseuses ; et les tanneries qui salissent et infectent les eaux de la rivière, — et la ferme Sainte-Anne, où de pauvres fous qui cultivent la terre passent à côté de vous souriant d’un sourire idiot, les membres ballants, la bouche mi-ouverte montrant un bout de langue, avec une vilaine grimace.

Dans nos promenades, Lise naturellement ne parlait pas, mais chose étonnante, nous n’avions pas besoin