Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/323

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
315
SANS FAMILLE

j’allais prendre ma harpe au clou où elle restait accrochée pendant toute la semaine, et je faisais danser les deux frères et les deux sœurs. Ni les uns ni les autres n’avaient appris à danser, mais Alexis et Benjamin avaient été une fois à un bal de noces aux Mille-Colonnes, et ils en avaient rapporté des souvenirs plus ou moins exacts de ce qu’est la contredanse ; c’étaient ces souvenirs qui les guidaient. Quand ils étaient las de danser, ils me faisaient chanter mon répertoire, et ma chanson napolitaine produisait toujours son irrésistible effet sur Lise.

Fenesta vascia e patrona crudele.

Jamais je n’ai chanté la dernière strophe sans voir ses yeux mouillés.

Alors, pour la distraire, je jouais une pièce bouffonne avec Capi. Pour lui aussi ces dimanches étaient des jours de fête ; ils lui rappelaient le passé, et quand il avait fini son rôle, il l’eût volontiers recommencé.

Deux années s’écoulèrent ainsi, et comme le père m’emmenait souvent avec lui au marché, au quai aux Fleurs, à la Madeleine, au Château-d’Eau, ou bien chez les fleuristes à qui nous portions nos plantes, j’en arrivai petit à petit à connaître Paris et à comprendre que si ce n’était pas une ville de marbre et d’or comme je l’avais imaginé, ce n’était point davantage une ville de boue comme mon entrée par Charenton et le quartier Mouffetard me l’avait fait croire un peu trop vite.

Je vis les monuments, j’entrai dans quelques-uns, je me promenai le long des quais, sur les boulevards, dans