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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/326

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SANS FAMILLE

ou des passages que je ne comprenais pas et je la regardais. Alors nous restions quelquefois longtemps à chercher ; puis quand nous ne trouvions pas, elle me faisait signe de continuer avec un geste qui voulait dire « plus tard ». Je lui appris aussi à dessiner, c’est-à-dire à ce que j’appelais dessiner. Cela fut long, difficile, mais enfin j’en vins à peu près à bout. Sans doute j’étais un assez pauvre maître. Mais nous nous entendions, et le bon accord du maître et de l’élève vaut souvent mieux que le talent. Quelle joie quand elle traça quelques traits où l’on pouvait reconnaître ce qu’elle avait voulu faire ! Le père Acquin m’embrassa :

— Allons, dit-il en riant, j’aurais pu faire une plus grande bêtise que de te prendre. Lise te payera cela plus tard.

Plus tard, c’est-à-dire quand elle parlerait, car on n’avait point renoncé à lui rendre la parole, seulement les médecins avaient dit que pour le moment il n’y avait rien à faire et qu’il fallait attendre une crise.

Plus tard était aussi le geste triste qu’elle me faisait quand je lui chantais des chansons. Elle avait voulu que je lui apprisse à jouer de la harpe et très-vite ses doigts s’étaient habitués à imiter les miens. Mais naturellement elle n’avait pas pu apprendre à chanter, et cela la dépitait. Bien des fois j’ai vu des larmes dans ses yeux qui me disaient son chagrin. Mais dans sa bonne et douce nature le chagrin ne persistait pas : elle s’essuyait les yeux et avec un sourire résigné, elle me faisait son geste : plus tard.