Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
342
SANS FAMILLE

mes ciseaux, que mon parrain m’a donnés ; en chemin, tu auras besoin de tout cela, car je ne serai pas là pour te remettre une pièce ou te coudre un bouton. En te servant de mes ciseaux, tu penseras à nous.

Pendant qu’Étiennette me parlait, Alexis rôdait autour de nous ; lorsqu’elle fut rentrée dans la maison, tandis que je restais tout ému dans le jardin, il s’approcha de moi :

— J’ai deux pièces de cent sous, dit-il ; si tu veux en accepter une, ça me fera plaisir.

De nous cinq, Alexis était le seul qui eût le sentiment de l’argent, et nous nous moquions toujours de son avarice ; il amassait sou à sou et prenait un véritable bonheur à avoir des pièces de dix sous et de vingt sous neuves, qu’il comptait sans cesse dans sa main en les faisant reluire au soleil et en les écoutant chanter.

Son offre me remua le cœur : je voulus refuser, mais il insista et me glissa dans la main une belle pièce brillante ; par là je sentis que son amitié pour moi devait être bien forte puisqu’elle l’emportait sur son amitié pour son petit trésor.

Benjamin ne m’oublia pas davantage, et il voulut aussi me faire un cadeau ; il me donna son couteau et en échange il exigea un sou « parce que les couteaux coupent l’amitié. »

L’heure marchait vite ; encore un quart d’heure, encore cinq minutes et nous allions être séparés : Lise ne penserait-elle pas à moi ?

Au moment où le roulement de la voiture se fit en-