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SANS FAMILLE

Comment une aussi belle chose que des souliers pouvait-elle se vendre dans un endroit aussi affreux !

Cependant Vitalis savait ce qu’il faisait en venant dans cette boutique, et bientôt j’eus le bonheur de chausser mes pieds dans des souliers ferrés qui pesaient bien dix fois le poids de mes sabots.

La générosité de mon maître ne s’arrêta pas là ; après les souliers, il m’acheta une veste de velours bleu, un pantalon de laine et un chapeau de feutre ; enfin tout ce qu’il m’avait promis.

Du velours pour moi, qui n’avais jamais porté que de la toile ; des souliers ; un chapeau quand je n’avais eu que mes cheveux pour coiffure ; décidément c’était le meilleur homme du monde, le plus généreux et le plus riche.

Il est vrai que le velours était froissé, il est vrai que la laine était râpée ; il est vrai aussi qu’il était fort difficile de savoir quelle avait été la couleur primitive du feutre, tant il avait reçu de pluie et de poussière, mais ébloui par tant de splendeurs, j’étais insensible aux imperfections qui se cachaient sous leur éclat.

J’avais hâte de revêtir ces beaux habits, mais avant de me les donner Vitalis leur fit subir une transformation qui me jeta dans un étonnement douloureux.

En rentrant à l’auberge, il prit des ciseaux dans son sac et coupa les deux jambes de mon pantalon à la hauteur des genoux.

Comme je le regardais avec des yeux ébahis :

— Ceci est à seule fin, me dit-il, que tu ne ressem-