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SANS FAMILLE

— Je ne sais pas ce que je dois faire.

— Et c’est par là précisément que tu es excellent. Demain, dans quelques jours tu sauras à merveille ce que tu devras faire. C’est alors qu’il faudra te rappeler l’embarras que tu éprouves présentement, et feindre ce que tu ne sentiras plus. Si tu peux retrouver ce jeu de physionomie et cette attitude, je te prédis le plus beau succès. Qu’est ton personnage dans ma comédie ? celui d’un jeune paysan qui n’a rien vu et qui ne sait rien ; il arrive chez un singe et il se trouve plus ignorant et plus maladroit que ce singe ; de là mon sous-titre : « le plus bête des deux n’est pas celui qu’on pense » ; plus bête que Joli-Cœur, voilà ton rôle ; pour le jouer dans la perfection, tu n’aurais qu’à rester ce que tu es en ce moment, mais comme cela est impossible, tu devras te rappeler ce que tu as été et devenir artistiquement ce que tu ne seras plus naturellement.

Le Domestique de M. Joli-Cœur n’était pas une grande comédie, et sa représentation ne prenait pas plus de vingt minutes. Mais notre répétition dura près de trois heures ; Vitalis nous faisant recommencer deux fois, quatre fois, dix fois la même chose, aux chiens comme à moi.

Ceux-ci, en effet, avaient oublié certaines parties de leur rôle, et il fallait les leur apprendre de nouveau.

Je fus alors bien surpris de voir la patience et la douceur de notre maître. Ce n’était point ainsi qu’on traitait les bêtes dans mon village, où les jurons et les coups étaient les seuls procédés d’éducation qu’on employât à leur égard.