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SANS FAMILLE

— Savoir quoi ?

Je restai interloqué regardant, sans trouver un mot, la route blanche qui s’allongeait devant nous au fond d’un vallon boisé.

— Si je te dis, continua-t-il, que nous allons à Aurillac pour nous diriger ensuite sur Bordeaux et de Bordeaux sur les Pyrénées, qu’est-ce que cela t’apprendra ?

— Mais vous, vous connaissez donc le pays ?

— Je n’y suis jamais venu.

— Et pourtant vous savez où nous allons ?

Il me regarda encore longuement comme s’il cherchait quelque chose en moi.

— Tu ne sais pas lire, n’est-ce pas ? me dit-il.

— Non.

— Sais-tu ce que c’est qu’un livre ?

— Oui ; on emporte les livres à la messe pour dire ses prières quand on ne récite pas son chapelet ; j’en ai vu, des livres, et des beaux, avec des images dedans et du cuir tout autour.

— Bon ; alors tu comprends qu’on peut mettre des prières dans un livre ?

— Oui.

— On peut y mettre autre chose encore. Quand tu récites ton chapelet, tu récites des mots que ta mère t’a mis dans l’oreille, et qui de ton oreille ont été s’entasser dans ton esprit pour revenir ensuite sur ta langue quand tu les appelles. Eh bien, ceux qui disent leurs prières avec des livres ne tirent point les mots dont se composent ces prières de leur mémoire ; mais