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SANS FAMILLE

le laisser dans le coin ; personne ne lui parlera, personne ne fera attention à lui.

— Ça, c’est juste, dit le magister, il n’a que ce qu’il mérite.

Après ces paroles du magister qui étaient pour ainsi dire un jugement condamnant Compayrou, nous nous tassâmes tous les trois les uns contre les autres, l’oncle Gaspard, le magister et moi, laissant un vide entre nous et le malheureux affaissé sur le charbon.

Pendant plusieurs heures, je pense, il resta là accablé, sans faire un mouvement, répétant seulement de temps en temps :

— Je me repens.

Et alors Pagès ou Bergounhoux lui criaient :

— Il est trop tard : tu te repens parce que tu as peur, lâche. C’était il y a six mois, il y a un an que tu devais te repentir.

Il haletait péniblement, et sans leur répondre d’une façon directe, il répétait :

— Je me repens, je me repens.

La fièvre l’avait pris, car tout son corps tressautait et l’on entendait ses dents claquer.

— J’ai soif, dit-il, donnez-moi la botte.

Il n’y avait plus d’eau dans la botte ; je me levai pour en aller chercher ; mais Pagès qui m’avait vu, me cria d’arrêter, et au même instant l’oncle Gaspard me retint par le bras.

— On a juré de ne pas s’occuper de lui.

Pendant quelques instants, il répéta encore qu’il avait soif ; puis, voyant que nous ne voulions pas lui donner à boire, il se leva pour descendre lui-même.