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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/15

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SANS FAMILLE

donc perdue si je l’abandonnais. Que penserait-elle de moi ? Une seule chose : que je ne l’aimais plus, elle qui m’avait témoigné tant d’amitié, elle par qui j’avais été si heureux. Cela n’était pas possible.

— Vous ne voulez donc pas que je vous donne des nouvelles des enfants ? dis-je.

— Ils m’ont parlé de cela ; mais ce n’est pas à nous que je pense en t’engageant à renoncer à ta vie de musicien des rues ; il ne faut jamais penser à soi avant de penser aux autres.

— Justement, père ; et vous voyez bien que c’est vous qui m’indiquez ce que je dois faire : si je renonçais à l’engagement que j’ai pris, par peur des dangers dont vous parlez, je penserais à moi, je ne penserais pas à vous, je ne penserais pas à Lise.

Il me regarda encore, mais plus longuement ; puis tout à coup me prenant les deux mains :

— Tiens, garçon, il faut que je t’embrasse pour cette parole-là, tu as du cœur, et c’est bien vrai que ce n’est pas l’âge qui le donne.

Nous étions seuls dans le parloir, assis sur un banc à côté l’un de l’autre, je me jetai dans ses bras, ému, fier aussi d’entendre dire que j’avais du cœur.

— Je ne te dirai plus qu’un mot, reprit le père : à la garde de Dieu, mon cher garçon !

Et tous deux nous restâmes pendant quelques instants silencieux ; mais le temps avait marché et le moment de nous séparer était venu.

Tout à coup le père fouilla dans la poche de son gilet et en retira une grosse montre en argent, qui était rete-