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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/165

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SANS FAMILLE

public et il ne lui fallait pas longtemps pour voir s’il jouerait ou s’il ne jouerait pas, et surtout ce qu’il devait jouer.

À l’école de Garofoli, qui exploitait en grand la charité publique, il avait appris dans toutes ses finesses l’art si difficile de forcer la générosité ou la sympathie des gens ; et la première fois que je l’avais rencontré dans son grenier de la rue de Lourcine, il m’avait bien étonné en m’expliquant les raisons pour lesquelles les passants se décident à mettre la main à la poche ; mais il m’étonna bien plus encore quand je le vis à l’œuvre.

Ce fut dans les villes d’eaux qu’il déploya toute son adresse, et pour le public parisien, son ancien public qu’il avait appris à connaître et qu’il retrouvait là.

— Attention, me disait-il, quand nous voyions venir à nous une jeune dame en deuil dans les allées du Capucin, c’est du triste qu’il faut jouer, tâchons de l’attendrir et de la faire penser à celui qu’elle a perdu : si elle pleure, notre fortune est faite.

Et nous nous mettions à jouer avec des mouvements si ralentis, que c’était à fendre le cœur.

Il y a dans les promenades aux environs du Mont-Dore des endroits qu’on appelle des salons, ce sont des groupes d’arbres, des quinconces sous l’ombrage desquels les baigneurs vont passer quelques heures en plein air ; Mattia étudiait le public de ces salons, et c’était d’après ses observations que nous arrangions notre répertoire.

Quand nous apercevions un malade assis mélanco-