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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/169

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SANS FAMILLE

ce parti, qui, sous tous les rapports, paraissait le plus sage, et nous continuâmes alors gaiement notre route.

La distance n’est pas longue du Mont-Dore à Ussel ; nous mîmes deux jours à faire la route, encore arrivâmes-nous de bonne heure à Ussel.

J’étais là dans mon pays pour ainsi dire : c’était à Ussel que j’avais paru pour la première fois en public dans le Domestique de M. Joli-Cœur, ou le Plus bête des deux n’est pas celui qu’on pense, et c’était à Ussel aussi que Vitalis m’avait acheté ma première paire de souliers, ces souliers à clous qui m’avaient rendu si heureux.

Pauvre Joli-Cœur, il n’était plus là avec son bel habit rouge de général anglais, et Zerbino avec la gentille Dolce manquaient aussi.

Pauvre Vitalis, je l’avais perdu et je ne le reverrais plus marchant la tête haute, la poitrine cambrée, marquant le pas des deux bras et des deux pieds en jouant une valse sur son fifre perçant.

Sur six que nous étions alors deux seulement restaient debout : Capi et moi ; cela rendit mon entrée à Ussel toute mélancolique ; malgré moi je m’imaginais que j’allais apercevoir le feutre de Vitalis au coin de chaque rue et que j’allais entendre l’appel qui tant de fois avait retenti à mes oreilles : « En avant ! »

La boutique du fripier où Vitalis m’avait conduit pour m’habiller en artiste vint heureusement chasser ces tristes pensées : je la retrouvai telle que je l’avais vue lorsque j’avais descendu ses trois marches glissantes. À la porte se balançait le même habit galonné sur les coutures, qui m’avait ravi d’admiration, et dans