Aller au contenu

Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
185
SANS FAMILLE

Et il nous donna une poignée de main ; quant au vétérinaire il nous embrassa.

Nous étions entrés misérablement dans ce village, nous en sortîmes triomphalement, menant notre vache par la longe et marchant la tête haute, en regardant par-dessus nos épaules les paysans qui se tenaient sur leurs portes.

— Je ne regrette qu’une chose, dit Mattia, c’est que le gendarme qui a jugé bon de nous arrêter ne soit pas là pour nous voir passer.

— Le gendarme a eu tort, mais nous aussi nous avons eu tort de croire que ceux qui étaient malheureux n’avaient rien à attendre de bon.

— C’est parce que nous n’étions pas tout à fait malheureux que nous avons eu du bon ; quand on a cinq francs dans sa poche, on n’est pas tout à fait malheureux.

— Tu pouvais dire cela hier, aujourd’hui cela ne t’est pas permis ; tu vois qu’il y a de braves gens en ce monde.

Nous avions reçu une trop belle leçon pour avoir l’idée d’abandonner la longe de notre vache ; elle était douce, notre vache, cela était vrai, mais aussi peureuse.

Nous ne tardâmes pas à atteindre le village où j’avais couché avec Vitalis ; de là nous n’avions plus qu’une grande lande à traverser pour arriver à la côte qui descend à Chavanon.

En passant par la rue de ce village et justement devant la maison où Zerbino avait volé une croûte, une idée me vint que je m’empressai de communiquer à Mattia.