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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/205

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SANS FAMILLE

et il n’y avait plus qu’à mêler les œufs à la pâte ; il est vrai qu’elle n’aurait pas le temps de lever, mais nous avions trop grande faim pour attendre ; si elle était un peu lourde, nos estomacs étaient assez solides pour ne pas se plaindre.

— Ah ça ! dit mère Barberin tout en battant vigoureusement la pâte, puisque tu es si bon garçon, comment se fait-il que tu ne m’aies jamais donné de tes nouvelles ? Sais-tu que je t’ai cru mort bien souvent, car je me disais, si Rémi était encore de ce monde, il écrirait bien sûr à sa mère Barberin.

— Elle n’était pas toute seule, mère Barberin, il y avait avec elle un père Barberin qui était le maître de la maison, et qui l’avait bien prouvé en me vendant un jour quarante francs à un vieux musicien.

— Il ne faut pas parler de ça, mon petit Rémi.

— Ce n’est pas pour me plaindre, c’est pour t’expliquer comment je n’ai pas osé t’écrire ; j’avais peur, si on me découvrait, qu’on me vendît de nouveau, et je ne voulais pas être vendu. Voilà pourquoi quand j’ai perdu mon pauvre vieux maître, qui était un brave homme, je ne t’ai pas écrit.

— Ah ! il est mort, le vieux musicien ?

— Oui, et je l’ai bien pleuré, car si je sais quelque chose aujourd’hui, si je suis en état de gagner ma vie, c’est à lui que je le dois. Après lui j’ai trouvé des braves gens aussi pour me recueillir et j’ai travaillé chez eux ; mais si je t’avais écrit : « Je suis jardinier à la Glacière, » ne serait-on pas venu m’y chercher, ou bien n’aurait-on pas demandé de l’argent à ces braves gens ? je ne voulais ni l’un ni l’autre.