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SANS FAMILLE

Il fallut entrer dans la cuisine, mais mon père ni ma mère ne s’y trouvaient point ; mon grand-père était devant le feu, assis dans son fauteuil, comme s’il n’avait pas bougé depuis la veille, et ma sœur aînée, qui s’appelait Annie, essuyait la table, tandis que mon plus grand frère Allen balayait la pièce.

J’allai à eux pour leur donner la main, mais ils continuèrent leur besogne sans me répondre.

J’arrivai alors à mon grand-père, mais il ne me laissa point approcher, et comme la veille, il cracha de mon côté, ce qui m’arrêta court.

— Demande donc, dis-je à Mattia, à quelle heure je verrai mon père et ma mère ce matin.

Mattia fit ce que je lui disais, et mon grand-père en entendant parler anglais se radoucit ; sa physionomie perdit un peu de son effrayante fixité et il voulut bien répondre.

— Que dit-il ? demandai-je.

— Que ton père est sorti pour toute la journée, que ta mère dort et que nous pouvons aller nous promener.

— Il n’a dit que cela ? demandai-je, trouvant cette traduction bien courte.

Mattia parut embarrassé.

— Je ne sais pas si j’ai bien compris le reste, dit-il.

— Dis ce que tu as compris.

— Il me semble qu’il a dit que si nous trouvions une bonne occasion en ville il ne fallait pas la manquer, et puis il a ajouté, cela j’en suis sûr : « Retiens ma leçon : il faut vivre aux dépens des imbéciles. »